
VIRGINIE BOREL, L'OEIL DU BILINGUISME EN SUISSE
La Suisse, un exemple réussi du multilinguisme ?
Lorsque l’on ne confond pas la Suisse avec la Suède, on imagine rapidement que tous les habitants de ce pays sont plurilingues… que nenni ! La Suisse est une « Willensnation », soit une nation par volonté, celles de communautés linguistiques et culturelles différentes qui composent un territoire fascinant mais complexe…
Le saviez-vous ?
La Suisse, forte de ses 8 millions d’habitants, est composée de quatre régions linguistiques qui n’interagissent que peu entre elles: la Suisse alémanique (germanophone), la Suisse romande (francophone), la Suisse italienne et la Suisse romanche. La part du français et des langues non nationales est en progression, tandis que l’on observe un recul de l’allemand, de l’italien et du romanche. Les deux langues non nationales les plus couramment parlées sont l’anglais et le portugais. Le plurilinguisme est un élément essentiel de l’identité suisse dont les grandes lignes sont définies dans une loi sur les langues et la compréhension. Pourtant, l’affirmation d’un ancien Conseiller fédéral, le Vaudois Jean-Pascal Delamuraz : « Les Suisses s’entendent car ils ne se comprennent pas » n’est pas loin de refléter la réalité… Peut-être faut-il souligner que l’usage intensif des dialectes alémaniques ne facilite pas la communication…
Plus de 60% de la population suisse utilise l’allemand comme langue principale. En réalité, l’allemand parlé en Suisse est un ensemble de dialectes alémaniques, regroupés sous la dénomination «suisse allemand».
Le français est la langue principale pratiquée en Suisse romande (23% de la population)
L’italien est la langue principale utilisée au Tessin et dans certaines parties du canton des Grisons.
Le romanche est une langue régionale rhéto-romande, descendante du latin, qui compte peu de locuteurs, localisés dans les Grisons.
Quatre cantons (Berne, Fribourg, Valais et Grisons) et une ville (Biel/Bienne) sont officiellement bilingues.
Sur le lieu de travail, le suisse allemand est la langue la plus répandue (plus de 60%), suivie de l’allemand standard (plus de 30%), du français (près de 30%), de l’anglais (environ 20%) et de l’italien (un peu moins de 10%).
Plus de 40% de la population de plus de 15 ans parle couramment au moins deux langues (pas forcément nationales).
La population étrangère vivant en Suisse contribue également au plurilinguisme : 24% de la population n’a aucune des quatre langues comme langue maternelle.
L’anglais et le portugais sont les deux langues étrangères les plus souvent parlées en Suisse. Parmi les autres langues fréquemment parlées figurent l’espagnol, le serbe, le croate et l’albanais.
Le plurilinguisme n'est pas seulement un élément constitutif de l’identité nationale, il est également inscrit dans la Loi sur les langues et la compréhension qui date de 2007.
Deux plans d’études
Scolairement, ce sont les cantons qui font la musique… chacun est souverain pour déterminer un grand nombre d’éléments de l’enseignement obligatoire, et ce malgré l’existence de deux plans d’études principaux : le PER (Plan d’étude romand – qui fait de l’allemand la première langue « étrangère » (ne devrait-on pas plutôt parler de « langue nationale » ?) apprise à l’école dans tous les cantons francophones – et le Lehrplan 21 : ainsi, les enfants germanophones apprennent le français puis l’anglais s’ils sont scolarisés dans un canton proche de la frontière linguistique, au-delà de celle-ci, les cantons ont tous opté pour l’anglais, prétextant que le français était une langue « trop difficile ». Officiellement, l’anglais n’est pas considéré comme une menace, mais le fait de ne pas considérer les langues nationales comme une priorité de l’enseignement est troublant et fait évidemment la part belle à l’anglais.
Quant à l’enseignement des langues, il inclut trop peu l’échange linguistique qui, du fait de la taille modeste du pays, donnerait à coup sûr du sens à l’apprentissage des langues nationales dont les racines antinomiques ont tendance à générer du désamour de la part des élèves, qu’ils soient francophones ou alémaniques !
Le poids économique des langues
La Suisse étant largement constituée de petites et moyennes entreprises principalement actives sur le territoire national, les langues y jouent en principe un rôle important : c’est souvent à ce moment du parcours de vie que l’on réalise l’intérêt de maîtriser le français ou l’allemand… Que ce soit en Suisse romande ou en Suisse alémanique cependant, l’anglais occupe une place économique importante.
En 2015, le professeur de l’Université de Genève François Grin a publié un rapport sur la valeur des langues dans l’activité professionnelle. A niveau de formation et d’expérience professionnelle similaires, les compétences en langues nationales sont rémunératrices, et cela de façon symétrique entre la Suisse romande et alémanique avec une prime d’environ 14%. Les taux de rendement sont plus élevés en Suisse italienne. Quant aux compétences en anglais, elles rapportent un peu plus en Suisse alémanique (18%) qu’en Suisse italienne (12%) ou romande (10%). Les données sur les compétences en langues non maternelles peuvent être considérées comme un facteur de production, la contribution correspond à environ 10% du PIB de la Suisse.
Vivent les familles bilingues !
Vous êtes une famille bilingue voire plurilingue ? Quelle chance ! Profitez de cette richesse humaine et culturelle. Un seul secret : la cohérence ! C’est-à-dire : une personne une langue, ceci afin que l’enfant puisse disposer des repères nécessaires afin d’identifier l’idiome à utiliser avec telle personne ou dans tel contexte. Cela « croche-t-il » avec une langue ? Les progrès semblent être laborieux ? Ne pas forcer la main et continuer de manière ludique… chaque enfant dispose de sa propre structure cognitive et chaque chose vient à son heure… quoi qu’il en soit, l’engagement portera ses fruits ! Et ce ne sera que bénéfice, également pour le plurilinguisme suisse.
Virginie Borel
Directrice du Forum du bilinguisme, www.bilinguisme.ch
@crédit photo : Guillaume Perret